Les deux auteurs ont procédé à une analyse lexicale de quinze manuels d’histoire destinés aux élèves de 2nde, 1reet terminale du lycée général en usage cette année, ainsi que neuf manuels destinés aux professeurs, publiés par les principaux éditeurs scolaires. Il en ressort deux constats. D’une part, quand le mot «islam» est présent dans une réponse, il est très souvent associé aux termes «attentats», «islamisme», «terrorisme», «11-Septembre», «Ben Laden» ou «Al-Qaida». D’autre part, cette religion apparaît comme étrangère à la France.
«Nous avons été surpris par les résultats de notre enquête; nous ne pensions pas valider à ce point notre hypothèse»,souligne François Durpaire, qui en appelle à la«responsabilité»des éditeurs et à la vigilance quant aux conséquences de leur contenu.«Une telle représentation de l’islam peut conduire à alimenter une phobie et à produire une vision caricaturale de cette religion. Nous plaidons pour des contenus plus inclusifs, qui éduquent au vivre ensemble plutôt qu’à la peur.»
Contactée, l’association Savoir livre, qui regroupe six éditeurs scolaires, rappelle que les manuels sont une«mise en œuvre des programmes scolaires dans la classe». Que disent ceux du lycée? En 2nde, l’islam n’est abordé qu’au travers d’une étude:«De Constantinople à Istanbul: un lieu de contacts entre différentes cultures et religions»aux XVeet XVIesiècles. En 1re, il apparaît dans le chapitre sur les«nouvelles conflictualités»depuis la fin de la guerre froide, dans celui sur«la République, les religions et la laïcité depuis les années 1880»et dans une étude sur l’immigration et la société française au XXesiècle. En terminale, sur les conflits au Proche-Orient et au Moyen-Orient.
Conséquence: dans les manuels,«l’islam n’est abordé que sous l’angle des conflits internationaux récents – Iran, Irak, conflit israélo-palestinien, Egypte et Frères musulmans –, de la montée de l’islamisme et des enjeux identitaires»,relèvent MmeMabilon-Bonfils et M. Durpaire. Dans un des manuels de 1re, sur les 17 réponses où apparaît le mot «islam», 15 sont relatives à l’islamisme.«Evidemment,il ne s’agit pas de réinventer les faits,souligne M. Durpaire.Mais cet accent mis sur la conflictualité conduit à véhiculer une image erronée de l’islam. On pourrait aussi s’intéresser à l’accroissement des échanges, la mondialisation, la sécularisation des sociétés à laquelle, justement, l’islamisme vient en réaction.»
S’agissant de l’islam en France, il est peu évoqué. Sur l’ensemble des manuels étudiés, il ne concerne que 13% des réponses relatives à l’islam. Son traitement scolaire se résumerait, selon l’étude, à la laïcité et à la question du port du voile à l’école – cette dernière étant «pensée de manière univoque comme un "retour communautariste”»,observent les deux chercheurs.
Les critiques à l’encontre du traitement de l’islam dans les manuels et les programmes ne sont pas nouvelles. D’autres études ont passé au crible les livres pour repérer d’éventuels stéréotypes. Celle de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (ex-Défenseur des droits), publiée en2008, s’étonnait de voir représenté l’islam par une mosquée située hors du territoire national, quand le catholicisme était illustré avec la cathédrale de Chartres – comme si la religion musulmane était étrangère à la France.
L’image de l’islam dans les manuels serait«dépassée et simpliste»,selon l’étude de l’institut allemand Georg Eckert, portant sur les manuels de cinq pays européens, dont la France. Elle tendrait à nourrir la perception d’une religion menaçante pour l’Occident et en contradiction avec les valeurs de la République, d’après la thèse que prépare Sonia Mejri, doctorante à l’université de Montpellier-III sur «les conceptions et images de l’Islam et des Arabes dans les manuels» de 1948 à 2008. Plus mesurée, l’étude de deux professeurs du secondaire, Bénédicte Hugedé et Mélanie Serrat, publiée en2011 dans le cadre du Dialogue euro-arabe de l’Unesco, pointe, certes, quelques simplifications, mais aussi un souci des éditeurs d’éviter les jugements de valeur et de confronter les points de vue, jusqu’à friser parfois le politiquement correct.
Pour d’autres spécialistes, ce n’est pas tant la présence de clichés dans les manuels qui est problématique que les impasses des programmes d’histoire, alimentant, de fait, une certaine vision de l’islam.«La critique majeure que je fais depuis longtemps aux programmes, c’est qu’ils abordent au collège les origines de l’Islam, et ensuite très peu de choses, si ce n’est les phénomènes contemporains que sont la guerre et le terrorisme,rapporte Dominique Borne, spécialiste de l’enseignement de l’histoire.Il serait indispensable de montrer la diversité des Islams, la distinction entre sunnisme et chiisme, l’évolution historique de l’islam en tant que civilisation, les migrations, sans se réduire au religieux.»
Des programmes«très franco ou européo-centrés»,qui accordent peu de place à l’étude d’autres civilisations: c’est aussi l’analyse de Stéphane Rio, enseignant agrégé d’histoire-géographie à Marseille.«Les musulmans et l’islam sont les absents des programmes et des manuels au lycée,souligne-t-il.Et quand ils sont abordés, c’est souvent en des termes négatifs.»Résultat, à l’issue du lycée,«les élèves n’auront entendu parler de l’Islam et des musulmans que comme source de problèmes, nationaux ou internationaux».
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