Grâce au Nom de Dieu le Tout-Miséricordieux et Très-Miséricordieux, nous avons vu que, pour l’islam shiite, la réflexion humaine suffit à établir cinq principes fondant la religion en raison : qu’il y a nécessairement une Cause première unique à l’origine de toute la création ; qu’elle est nécessairement parfaite et juste ; qu’il y a nécessairement un monde et une vie posthumes où chacun connaîtra les effets réels des pensées, paroles et actions dont il fut l’auteur en ce monde ; enfin, qu’il y a nécessairement en toute époque un être humain infaillible et impeccable dont les miracles signalent et prouvent aux hommes qu’il est investi par Dieu de la mission de les guider en toute vérité et en toute justice.
Cet intermédiaire est soit un Prophète porteur d’une nouvelle révélation soit un Imam dépositaire d’une révélation antérieure. Les révélations divines ayant pris fin avec la mission de Mohammad, Dieu le bénisse lui et les siens, qualifié dans le Coran de « Sceau des Prophètes », quel sera désormais l’Argument de Dieu ? Pour les musulmans non-shiites, le Coran remplirait ce rôle à lui seul. Pourtant on voit que, comme tout texte susceptible de lectures multiples, le Coran est compris de manières contradictoires et que chacun y trouve des arguments confortant sa propre opinion. Pour l’islam shiite, il ne saurait donc être un Argument définitif aussi longtemps qu’un Interprète infaillible n’en aura pas explicité le sens et déterminé ce que Dieu entend et attend de l’homme par Ses paroles.
Dans le raisonnement d’un disciple du sixième Imam, Dja‘far %âdiq, la Paix soit avec lui, que nous avons suivi dans nos dernières émissions, il objecte à ceux qui lui disent qu’après la disparition du Prophète Mohammad, Dieu le bénisse lui et les siens, le Coran serait l’Argument de Dieu envers les créatures » :
Je considérais alors le Coran et voilà que [les partisans des différentes écoles théologiques de l’islam et même le libre-penseur], qui n’y croit [pourtant] pas, s’en servaient pour dominer les autres dans la controverse. J’ai alors compris que le Coran ne pouvait être un argument qu’avec quelqu’un qui l’établisse, en sorte que tout ce qu’il dira à son propos sera vérité. Je leur ai donc dit : “Qui est celui qui établit le Coran ?
— [Parmi les compagnons du Prophète], Ibn Mas‘ûd le connaissait, répondirent-ils, ainsi que ‘Omar et £odhayfa…
— Tout entier ? demandai-je.
— Non, dirent-ils.”
Et je ne trouvai personne dont on dise qu’il connaissait cela tout entier en dehors de ‘Alî, que les Bénédictions divines soient sur lui. Or, lorsqu’il faut choisir entre plusieurs personnes et que l’une dit “je ne sais pas”, que l’autre dit “je ne sais pas”, qu’une troisième dit “je ne sais pas” et qu’une dernière dit “moi, je sais”… Je témoigne donc que ‘Alî, la Paix soit avec lui, était celui qui établit le Coran, qu’il était obligatoire de lui obéir, qu’il était l’Argument envers les hommes après le Messager de Dieu, Dieu le bénisse lui et les siens, et que ce qu’il a dit à propos du Coran est vérité.
Le grand penseur iranien et philosophe shiite du 16e siècle Mollâ Sadrâ fait remarquer en commentaire de ce hadith qu’en effet aucun des compagnons du Prophète n’a jamais prétendu connaître le Coran tout entier, à l’exception d’Alî fils d’Abû Xâlib, que la Paix soit avec lui, cousin et gendre de Mohammad, Dieu le bénisse lui et les siens, lequel disait entre autres :
« Si je le voulais, je pourrais charger soixante-dix chameaux [en mettant par écrit] le commentaire de la [courte] sourate initiale du Livre. »
Il disait aussi :
« Interrogez-moi avant que de me perdre, car je possède en vérité la science des premiers aux derniers [hommes]. […] Si l’on me dressait un siège, je trancherais entre les gens de la Thora avec leur Thora, entre les gens de l’Evangile avec leur Evangile […] ; il mentionna ainsi plusieurs Écritures saintes, et [chacun d’eux] dirait : “Seigneur, en vérité ‘Alî a prononcé le jugement qui est le Tien”. […]
‘Alî disait encore :
Si vous m’interrogiez sur chaque verset du Coran, un à un, je vous informerais du moment de sa Révélation et de la raison pour laquelle il fut révélé ; je vous dirais lequel abroge et lequel est abrogé, lequel a une portée spécifique et lequel une portée générale, lequel est catégorique et lequel ambigu, lequel fut révélé à La Mecque et lequel à Médine… »
Enfin, il dit également au milieu d’un long discours :
« Aucun verset du Coran n’a été révélé à l’Envoyé de Dieu, Dieu le bénisse lui et les siens, qu’il ne m’aie fait réciter, ne m’aie dicté pour que je l’écrivit de ma main et ne m’en aie appris le sens premier et les implications […] et il pria Dieu de me donner de les comprendre et de les garder en mémoire, si bien que je n’ai pas oublié un verset de l’Écrit de Dieu ni un savoir qu’il m’a dicté depuis qu’il a prié Dieu pour moi. »
Il ressort de tout cela que ‘Alî, la Paix soit avec lui, était l’Argument de Dieu envers les créatures après le Prophète, Dieu le bénisse lui et les siens : il était l’Imam qui, sans le moindre doute, établissait pour les gens le sens du Coran et leur faisait connaître la guidance divine, et il était de ce fait obligatoire de le suivre.
Ce disciple de l’Imam Sâdiq, la Paix soit avec lui, conforte ainsi par le raisonnement rationnel la désignation de l’Imam ‘Alî par le Prophète lui-même. La désignation d’un successeur apparaît en effet, en toute logique, comme une part éminente de la mission d’un Prophète, car c’est le seul moyen de garantir la guidance transmise par le Prophète et de la préserver de tomber en des mains malintentionnées ou tout simplement incapables de la comprendre telle qu’elle doit l’être.
Le patron d’une entreprise de ce monde se préoccupe de sa gestion pendant ses absences, fussent-elles de courtes durées, et se soucie à plus forte raison de son devenir après lui. Comment donc un Prophète, qui a la responsabilité d’une entreprise spirituelle dont le maintien ou la disparition impliquent le salut ou la perte de l’humanité, pourrait-il se désintéresser de ce qu’il en adviendra après lui ? D’autant qu’il en est responsable devant le véritable « patron » de cette entreprise, le Sage et Juste par excellence. L’impossibilité d’une telle négligence est donc double, déjà parce qu’un Prophète ne saurait faillir à son devoir, puisque l’infaillibilité est un corollaire rationnel de la Prophétie, et plus encore parce que le Sage et Juste par excellence ne saurait ouvrir grand la porte à l’injustice et à l’égarement.
Ainsi, une implication rationnelle de la Prophétie et de l’Imamat qui découle directement du principe de Justice divine est que la guidance divine ne saurait être accomplie sans la désignation d’un successeur en charge de l’Argument divin. Et bien entendu, cette désignation ne peut qu’être en adéquation avec les autres implications rationnelles de la Prophétie et de l’Imamat : le successeur désigné répond donc nécessairement aux conditions de ces fonctions et possède l’état spirituel qui garantit son infaillibilité et impeccabilité et lui permet d’accomplir les miracles établissant l’authenticité de ses prétentions.
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