L’Hégire du Prophète (psl) et la naissance d’une civilisation

13:27 - July 01, 2025
Code de l'info: 3492684
IQNA-Le récit céleste n’est pas un simple texte que l’on raconte, mais un message à raviver, un sens à intérioriser, un schéma à extraire des plis du temps étendu.

 Dans cet espace, nous revisitons les récits de la Révélation avec les yeux de la conscience, non ceux de l’habitude, et nous relisons les grands événements à la lumière des lois divines (Sunan), non à travers la seule apparence des faits. Dans cette perspective, l’Hégire prophétique se révèle comme un moment cosmique, qui a mis l’histoire en mouvement, et reconfiguré l’être humain et la société, dans un cadre prophétique et coranique cohérent, dont chaque maillon reste indissociable des finalités de la création et de la mission confiée à l’homme.

 

 

Car l’Hégire n’est pas simplement un déplacement géographique, elle est l’expression d’une rupture avec l’enfermement, le franchissement d’un voile qui limitait l’horizon, et l’ouverture d’un champ nouveau pour l’histoire humaine, où la Révélation entre en résonance avec la réalité, où la foi s’allie à la stratégie, où l’élévation spirituelle s’accomplit dans l’édification d’un ordre civil. Ce fut un moment de libération, non pas d’un lieu vers un autre, mais du passage d’un stade de civilisation à un autre, plus accompli : du dénuement à la capacité d’agir, de l’appel isolé à l’organisation d’un État, de l’idée fondatrice à l’édifice structuré.

 

 

Lorsque le Prophète Mohamed ﷺ quitta La Mecque, il ne fuyait pas, mais il avançait selon un dessein divin minutieusement tracé, comme le révèle la parole du Très-Haut : « Si vous ne lui portez pas secours, Allah l’a déjà secouru : lorsque les mécréants l’ont fait sortir, il n’était que le second de deux, lorsqu’ils étaient dans la grotte… » (Sourate At-Tawba, verset 40)

 

 

Dieu a fait de ce "départ" un point de départ, non d’une retraite, mais d’une victoire à venir, une victoire de civilisation, dont la pleine réalisation nécessitait la fondation d’un nouveau modèle de société.

 

 

Dans la cité prophétique, la première initiative du Prophète ﷺ ne fut ni l’établissement d’un pouvoir ni l’imposition d’une autorité. Il bâtit d’abord la mosquée, pour qu’elle devienne le cœur battant de la ville, l’université du nouveau tissu social : un lieu de prière, un espace d’enseignement, un centre d’administration, une tribune judiciaire, et un foyer de formation morale, spirituelle et politique. Dans ce même élan fut rédigée la Constitution de Médine, premier pacte civil sur lequel allait se construire une communauté unifiée, non seulement fondée sur la foi, mais sur les droits et devoirs, la justice et la citoyenneté partagée. Ce document novateur affirmait sans ambiguïté : « Les juifs forment une nation avec les croyants. » C’était là une déclaration précoce d’une maturité politique remarquable, qui, pour son époque, surpassait les conceptions traditionnelles du pouvoir et de l’appartenance.

 

 

Les fondations de l’État ne tardèrent pas à se manifester clairement : la justice, la consultation (Shûrâ), la gestion fiscale, l’émission de fatwas, l’organisation militaire, la répartition de la population, l’urbanisme, et même les relations internationales, tout cela prit forme à Médine. Ainsi, Mu’adh ibn Jabal fut envoyé au Yémen comme juge et mufti, des traités furent conclus avec diverses tribus et souverains, et le tout premier message diplomatique fut adressé à Chosroês (Kisrâ), à César (Qaysar) et au patriarche copte El-Muqawqis. Ce message portait le sceau prophétique et s’ouvrait par cette noble formule : « De Mohamed, Messager d’Allah… »

 

 

Tout cela s’est déroulé dans un cadre de confrontation régie par les lois immuables (Sunan).

 

 

La victoire ne fut pas le fruit d’un miracle soudain, mais le résultat d’une planification rigoureuse, d’un travail collectif, et d’un essor civilisationnel fondé sur l’accumulation patiente de l’expérience. L’Hégire a également opéré une transformation profonde dans la structure sociale : elle a aboli les distinctions de classe, et redéfini l’appartenance, non plus selon la tribu ou l’origine, mais selon la foi et les valeurs.

 

 

Dans l’exemple de la fraternisation (mu’âkhāh), le Prophète ﷺ a établi des liens de fraternité entre les Émigrés (Mouhajirun) et les Auxiliaires (Ansar), au point que Sa’d ibn al-Rabi dit à Abd ar-Raḥmān ibn Awf : « Je suis l’un des Ansar les plus fortunés : je te donne la moitié de mes biens. » Mais Abd ar-Raḥmān déclina l’offre, et répondit : « Indique-moi plutôt le chemin du marché, et non celui de l’aumône. »

 

 

 

Au marché, le tournant économique s’est amorcé : le commerce n’était plus réservé à une caste ou un groupe, mais ouvert à tous, dans un espace commercial islamique indépendant, libéré de toute forme de monopole, et fondé sur les principes d’intégrité et de transparence.

 

 

Le Prophète ﷺ déclara en toute clarté : « Celui qui pratique la rétention (le monopole) est fautif. » Sur le plan intellectuel, Médine a vu naître le concept de "savoir prophétique" (ʿilm risâlî), un savoir qui articule harmonieusement la Révélation et la connaissance du monde. L’un ne remplaçait pas l’autre, mais les deux s’épaulaient et se complétaient.

 

 

Parmi les prisonniers de la bataille de Badr, certains n’avaient pas les moyens de payer leur rançon. Il leur fut alors proposé, en contrepartie, d’enseigner la lecture et l’écriture aux enfants des Ansar : ainsi, l’éducation devint une valeur de rédemption, et le savoir, une monnaie d’honneur. La femme, quant à elle, prit place sur la scène du savoir comme jamais auparavant : As-sifa bint Abd Allah fut reconnue comme enseignante, et Aicha, qu’Allah l’agrée, se distingua comme juriste et exégète. Les plus grands savants se référaient à elle, au point qu’Abou Moussa El-Ash’ari disait : « Aucun hadith ne nous a jamais posé difficulté sans que, lorsque nous interrogions Aisha, nous trouvions auprès d’elle une réponse éclairée. »

 

 

Même l’organisation militaire était fondée sur un savoir structuré, un plan rigoureux et un profond respect des principes éthiques de la guerre. Le Prophète ﷺ en a défini les limites par ses recommandations claires : « Ne tuez ni vieillard affaibli, ni enfant, ni femme… », mettant ainsi un terme à la brutalité barbare qui prévalait dans la période antéislamique et chez de nombreuses autres civilisations.

 

 

Parallèlement à l’essor du conscient politique, économique, social et intellectuel, la femme passait de la marge du discours au cœur même du projet. L’Hégire marqua le début d’une reconnaissance explicite de son rôle de partenaire, et non de simple suiveuse, dans l’éducation, la prise d’opinion, le combat, la médecine, le commerce, et la vie domestique. Le Prophète ﷺ lui consacra un jour spécifique à la mosquée pour l’enseignement, et ouvrit aux femmes les portes du dialogue, de l’interrogation et de la revendication. Elle cessa d’être un être silencieux pour devenir une actrice à part entière de la construction de la conscience collective.

 

 

Tout cela, et bien plus encore, s’est accompli sous l’effet d’une transformation intérieure profonde produite par l’Hégire : un passage de la peur à la certitude, de la fermeture à l’ouverture, de la confusion au discernement, de la réaction impulsive à l’action portée par une mission. Comme dans la grotte, lorsque le Prophète ﷺ dit à Abou Bakr, ainsi que le relate « Ne t’attriste pas, car Allah est avec nous » (Sourate At-Tawba, verset 40). Ce fut l’instant sublime de la certitude absolue, celui qui rend le croyant plus fort que toute traque, plus proche de la victoire, même s’il semble seul.

 

 

Dans les récits révélés, l’Hégire n’est pas un récit à célébrer une fois l’an, mais une leçon à comprendre, un itinéraire à suivre. Elle n’est pas une histoire du passé, mais une méthode de transformation. Ce n’est pas un simple déplacement géographique, mais un passage d’une réalité à un projet. L’Hégire demeure tant que l’ennemi demeure. Et le Prophète ﷺ a dit :« Est véritablement émigrant celui qui abandonne ce qu’Allah a interdit. »

 

 

Or l’ennemi d’aujourd’hui n’est pas extérieur : c’est l’impuissance, la fascination pour l’autre jusqu’à la dissolution, le renoncement, la distraction, la paresse, et la perte des valeurs. C’est confiner le message dans la mémoire sans lui donner vie dans le réel.

 

 

Ainsi, l’Hégire, telle que nous la relisons ici, est une loi de transformation permanente, toujours offerte à toute nation qui aspire à se relever.Sommes-nous prêts, nous aussi, à émigrer à nouveau ?

 

*Article paru dans le n°71 de notre magazine Iqra.

 

captcha