Il y a 35 ans, au moment où la guerre civile faisait rage au Liban, je me souviens d’un jour où mon père était à la maison et que toute la famille était réunie et passait une heure à causer. Je me souviens qu’il disait à mon frère : « Si j’ai les moyens d’envoyer l’un de mes enfants à l’école, je les dépenserai pour ma fille. » J’ai à la mémoire que quand je me suis levée pour faire mes prières, il m’a dit : « Ma fille Houra, ne pense pas que tes prières sont plus privilégiées que celles des autres, parce que tu es la fille de Seyed Moussa. »
On a dit beaucoup de choses de mon père, Imam Moussa Sadr. Chacun l’a défini à sa manière. Certains le considèrent comme un juriste théologien réformateur, et certains d’autres comme un intellectuel religieux. Les uns le nomment l’architecte du dialogue et les autres le porte-drapeau du rapprochement. L’Imam des déshérités, le fondateur de la résistance, le héraut des droits des déshérités et des opprimés, le porte-drapeau de la lutte contre le sionisme, le fondateur de l’histoire du Liban, de l’identité des chiites, le leader réussi et le leader fondateur de l’histoire… sont d’autres définitions utilisées et entendues au sujet de l’Imam Moussa Sadr. Chacun est devenu son ami en s’appuyant sur ses connaissances.
En général, les points de vue et les priorités mentales du présentateur jouent un rôle essentiel dans la présentation des personnalités, au point que parfois le présentateur aperçoit ses aspirations et ses espoirs non réalisés chez la personnalité en question et la considère comme la réalisatrice de toutes ses aspirations et son sauveur de toutes les privations.
Mais l’image que j’ai gardée de l’Imam Moussa Sadr dans l’esprit, c’est une image où le privé et le public, la vie intérieure et celle de l’extérieur, la science et la pratique se conjuguent ; voilà la coïncidence entre la pensée et le comportement.
Ce que disent les gens de l’Imam et ce qu’écrit l’histoire, c’est vrai, mais ce n’est pas tout.
Il est identique toujours et partout ; il n’a qu’une personnalité. D’une part, il jouit d’un système de penser cohérent et homogène. Si vous placez les propos qu’il a prononcés sur les thèmes variés, dans des conditions différentes et à des dates plus ou moins proches, les uns à côtés des autres, ils sont cohérents, sans se contredire. Il est évident qu’ils sont le fruit d’un système de penser cohérent et homogènes.
De l’autre part, sa pensée et son action sont identiques ; son comportement et son discours reflètent sa pensée et ses convictions, et sa pensée et ses convictions sont à l’origine de son action et de son discours. Il n’a pas aujourd’hui et demain, ni l’intérieur et l’extérieur. Ce qu’il pense en privé, il l’applique entièrement dans la société et ce qu’il déclare devant le public, il l’applique en privé, à la maison et loin du public. Il n’a pas une double personnalité. Il n’est pas hypocrite. Il croit logiquement et cordialement en ses convictions et fait vraiment confiance en ce qu’il dit. Son comportement et ses idées sont loin d’être mêlés à toute tromperie. Il croit en ce qu’il dit. Il pense à l’objectif, sans vouloir faire du bruit. Il veut faire quelque chose, résoudre un problème, améliorer la situation des gens. Il ne veut pas renoncer au devoir. Il ne tient pas autrui pour responsable des défaites. Il ne regrette pas seulement la misère, mais collecte des informations et des bilans, programme et profite de tous ses moyens, ainsi que de ceux de la société dans les différents domaines pour favoriser le développement tout azimut de la société. Après avoir identifié l’origine d’un problème et les besoins, il entre immédiatement en action avec la coopération des autres pour élaborer un projet adéquat. Par exemple :
A : Si l’Imam considère comme nécessaire de former une organisation pour les chiites en vue de résoudre leurs problèmes et d’assurer leur unité, comme ce qui a été le cas pour les autres communautés libanaises, il lance immédiatement des études et des opérations tout azimut. Il demande au gouvernement et au parlement libanais la formation d’une telle organisation, mais en même temps il déploie des efforts, entre en action et mobilise tous ses moyens et ceux de la communauté. Il élabore un projet de loi sur la création de l’organisation…et poursuit ses efforts jusqu’à l’adoption de la loi sur la création du conseil islamique chiite au parlement. Il transforme l’idée en acte.
B : S’il crie pour la réalisation des revendications des déshérités, des déshérités de toutes les religions et de toutes les communautés, il ne craint les difficultés qui entravent leur réalisation. Il use sincèrement de toutes ses forces et de tout son temps, sans se restreindre et sans se sentir fatigué. Il profite de tous ses moyens humains. Il crie, il prie, il attaque, il négocie. Il mêle le pouvoir à l’intelligence et au goût. Il se met en colère, s’il le faut, et se réconcilie, il rit et il pleure…pour appeler à la vigilance, les responsables et le gouvernement qui doivent assumer leur responsabilité. Néanmoins il ne se contente pas de crier et de revendiquer, mais il élabore pour lui-même et pour ses amis un plan pratique et complet et un projet de lutte contre les privations qu’il met en œuvre. Dans cette voie, il se heurte à de nombreuses entraves, à des sabotages, des calomnies et des malentendus, mais il ne se fatigue pas et suit ses revendications jusqu’à la victoire. Il fixe son but et prend catégoriquement position contre le gouvernement et les saboteurs. Lors d’une interview accordée à un quotidien libanais, il annonce : « Mes activités religieuses ont pour but d’abord la promotion de la vie sociale des gens en général et de la culture religieuse des musulmans en particulier. Je suis convaincu que si la vie sociale des gens reste à ce bas niveau, on ne pourra améliorer la situation de leur religion. »
Puis il annonce qu’il envisage de mettre en place un institut social qui serait chargé de créer de l’emploi pour les chômeurs, d’aider les pauvres, de donner refuge aux orphelins et de leur enseigner à travailler en profitant des nouvelles méthodes. Ses déclarations ne restent pas au niveau des mots couverts par les médias, il les applique. Il met en place des écoles, des centres d’enseignements variés, des écoles techniques et professionnelles, des orphelinats, des dispensaires, des laboratoires, des centres sanitaires et des hôpitaux. Il ne capitule pas et ne tient pas les autres pour responsables. En d’autres termes, il crée toutes les infrastructures nécessaires à l’élimination des privations et à la promotion culturelle et sociale.
C : Un autre signe de la coordination entre la pensée et le comportement, de l’unité entre la pensée et l’action, chez Imam Moussa Sadr, concerne la définition des concepts coraniques et l’interprétation du Saint Coran. Je me contente d’en donner un exemple. En ce qui concerne l’interprétation du verset 60 de la sourate « Dépouilles » وَمَا تُنفِقُواْ مِن شَیْءٍ فِی سَبِيلِ اللّهِ یُوَفَّ إِلَیْكُمْ وَأَنتُمْ لاَ تُظْلَمُونَ
il indique non seulement les points de vue des exégètes au sujet de la récompense divine et explique l’impact de la dépense en aumône sur la vie des pauvres, mais donne son propre avis : « Etant donné le genre de vie et ses activités, le donateur profite plus que le donataire, d’une société plus avancée et il obtient dans la vie ici-bas, plus qu’à l’au-delà et dans la vie matérielle plus que dans la vie spirituelle. » Dans ce même droit fil, en ce qui concerne l’interprétation coranique de la dépense en aumône, il présente une exégèse pratique pour la vie objective du donateur et du donataire. Dans le sens de la perfection de la société et de son développement, il initie les riches, les engagés, les experts et les compétents au sens de la donation et attire leur attention sur les résultats positifs et les intérêts matériels de la donation pour les donateurs et les effets néfastes de l’absence de la donation. Il réunit leurs moyens financiers, scientifiques, spécialisés et toute autre compétence pour contribuer au développement de la société et à l’amélioration du niveau économique et social des citoyens. Dans ce sens, on peut faire allusion à son fameux projet visant à éliminer la mendicité à Tyr qui justement compte parmi ses premiers projets de réformes. Pour obtenir davantage de précisions à ce sujet, vous pouvez vous référer aux explications que l’Imam Sadr donne dans son livre « Gorge et roseau », pages 56 à 58.
D : Un autre exemple de la coordination entre la pensée et l’action, chez l’Imam, concerne le dialogue et son appel au dialogue interreligieux. Sa foi en le dialogue et la coexistence entre religions ou l’unité au sein des écoles islamiques n’est pas une tactique provisoire pour prendre en main la direction de la société ou attirer l’attention ou se montrer comme intellectuel ou devenir un personnage charismatique, mais elle présente un principe idéologique, permanent et solide dont l’authenticité et la force vient de sa conviction en Islam et de ses connaissances et compréhensions. La création de la Mission pour secourir le Sud manifeste en pratique sa foi en le dialogue et en coopération au sein des religions et des écoles. L’Imam Sadr a mis en place cette mission pour défendre et soutenir entièrement le Sud face aux agressions sionistes et il a invité les chefs religieux de toutes les écoles chrétiennes et musulmanes du Sud du Liban à l’adhérer. Les membres de cette mission, musulmans et chrétiens, ont élaboré côte à côte des plans et les ont mis en œuvre. Ils ont planifié et travaillé. Ils se sont présentés, dos à dos, devant le public et ont essayé de résoudre leurs problèmes.
Je vais résumer : l’Imam Moussa Sadr a la pleine confiance en ce que l’Islam peut répondre aux besoins modernes. C’est pourquoi il offre des plans pour adapter la religion à la vie, réconcilier le monde et l’au-delà et conjuguer la foi en Dieu et la nécessité de servir les hommes. Ces deux convictions s’incarnent chez l’Imam Moussa Sadr en la cohésion de la pensée et de l’action, en l’unité entre sa pensée, son discours et son comportement. Il pense à l’éducation de sa fille dans le monde d’aujourd’hui autant qu’à sa prière et à la sincérité dans sa prière.