Youcef Belmehdi :

Les transformations technologiques nous placent face à des responsabilités nouvelles

14:14 - August 13, 2025
Code de l'info: 3493096
IQNA-L’intégration de l’intelligence artificielle dans le champ de l’ifta’, soit les processus d’émission d’une fatwa, ou l’interprétation juridique de la loi islamique, ouvre des perspectives inédites mais impose, plus que jamais, rigueur, prudence et ancrage dans les fondements de la charia. C’est ce qu’a affirmé, ce mardi, Youcef Belmehdi, ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, lors du 10ᵉ Congrès mondial de la fatwa au Caire.

Les transformations technologiques nous placent face à des responsabilités nouvellesBelmehdi a affirmé que « les transformations technologiques que nous vivons, en particulier l’irruption de l’intelligence artificielle dans le domaine de l’orientation religieuse et de la fatwa, nous placent face à des responsabilités nouvelles que nous ne pouvons ignorer », en ouverture du congrès organisé sous le thème « La fabrication du mufti avisé à l’ère de l’intelligence artificielle » par Dar Al Ifta’ d’Egypte et le Secrétariat général des instances de fatwa dans le monde.

Face à des représentants de plus de soixante-dix pays, parmi lesquels des ministres, des muftis, des ambassadeurs et des figures religieuses de premier plan, M. Belmehdi a ainsi livré un plaidoyer en faveur d’un mufti du XXIᵉ siècle, enraciné dans la charia mais pleinement conscient des mutations technologiques dans un monde régi par la donnée et l’algorithme.

Le ministre a aussi défendu une vision exigeante du rôle de mufti à l’ère numérique, estimant qu’il ne s’agit plus d’« un simple dépositaire de textes » ou d’« un transmetteur mécanique d’avis », mais d’un savant de la charia, conscient de la réalité, doté des outils intellectuels et techniques de son époque. Il serait également capable de produire une fatwa fondée, rationnelle et fiable, qui serve l’intérêt et écarte le préjudice. Il a relevé que « l’intégration de l’IA dans le processus de fatwa représente une étape charnière », grâce à la disponibilité de bases de données colossales regroupant des millions de fatwas et d’avis jurisprudentiels, permettant un accès sans précédent à l’héritage juridique musulman.

Pour M. Belmehdi, les mutations actuelles imposent aux institutions religieuses et d’ifta’ de repenser le visage du mufti, en révisant sa formation, ses compétences et ses responsabilités. Il a préconisé l’impératif de conjuguer rigueur juridique et maîtrise technique afin d’armer le mufti face aux défis du numérique, l’objectif étant de le doter des outils de l’IA tout en préservant les invariants de la charia, et de recourir à la technologie pour moderniser la gestion, l’archivage et la documentation des données de fatwa. Ce n’est, selon lui, qu’en conciliant le savoir traditionnel et les outils modernes que la performance institutionnelle pourra être améliorée et la pérennité des services assurée.

S’il reconnaît les apports de l’IA, M. Belmehdi en pointe également les limites. Il a soutenu que « la machine n’a pas conscience des contextes humains et qu’elle ne perçoit ni les réalités psychologiques et sociales des demandeurs, ni l’esprit des textes, ni la finalité des lois ». Il a également souligné que l’IA ne peut reproduire l’effort d’interprétation, ancré dans les objectifs supérieurs de la charia, ni adapter les réponses aux évolutions du temps et de l’espace. De plus, son usage massif risque de rompre la relation éducative et spirituelle entre le mufti et le fidèle.

Des garde-fous indispensables

Dans ce contexte, le ministre a décrit les nouvelles missions du mufti dans l’environnement numérique. Celui-ci doit vérifier systématiquement les sources avant d’émettre un avis, contrôler la fiabilité des applications sur lesquelles il s’appuie et corriger de manière proactive les erreurs avant leur diffusion. Il doit également élargir la portée des fatwas authentiques en les diffusant dans plusieurs langues et dialectes afin de prévenir les dérives et d’atteindre des publics variés.

Belmehdi a plaidé pour la mise en place d’un véritable « bouclier cognitif » contre les manipulations de contenus religieux. Cela passe par des programmes de sensibilisation, un suivi rigoureux des fausses fatwas circulant en ligne, une coopération étroite avec les autorités chargées de la lutte contre la désinformation numérique, ainsi que par la création de bases de données organisées et analysées pour mieux comprendre les besoins du public et répondre avec précision à leurs préoccupations.

Par contre, il a mis en avant le fait que « la réalité contemporaine ne permet pas de tourner le dos à la technologie. Il s’agit, au contraire, de l’intégrer intelligemment, de la maîtriser et de la mettre au service du bien commun ». Parmi les pistes qu’il évoque figurent l’usage de systèmes automatisés de génération de fatwas placés sous supervision humaine, la création de plates-formes internationales de coopération entre instances de fatwa et le partage d’expériences, notamment dans le domaine numérique.

Le ministre a toutefois mis en garde contre les « fatwas automatisées non encadrées », souvent produites à partir de sources peu fiables ou déconnectées des méthodologies juridiques reconnues. Il a appelé à imposer des garde-fous pour se prémunir contre ces risques de dérapage, notamment à travers la relecture humaine obligatoire, le recours exclusif à des écoles juridiques crédibles, l’interdiction des logiciels non supervisés scientifiquement, la préservation de la confidentialité des demandeurs, l’utilisation de modèles d’IA spécifiquement entraînés dans un cadre islamique fiable et l’intégration de mécanismes de vérification et de révision automatiques.

Youcef Belmehdi a conclu son discours en déclarant que « le mufti avisé n’est plus un luxe, mais une nécessité religieuse et sociétale à l’ère de la mondialisation numérique ». Il a assuré que former un mufti capable d’intégrer l’IA avec discernement, c’est investir dans la paix sociale, la sécurité intellectuelle et la transmission d’un savoir religieux éclairé, capable de s’adapter à la modernité sans jamais se soumettre à ses dérives. 

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