Quand un poète russe devint fasciné par le Coran

18:18 - December 23, 2025
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IQNA-L’influence du Coran ne s’est jamais limitée au monde arabe ou musulman.

Depuis des siècles, son message spirituel, éthique et poétique a traversé les frontières culturelles et linguistiques, touchant des penseurs, des écrivains et des artistes de traditions très diverses. La littérature russe ne fait pas exception à cette dynamique d’échanges.

Parmi les figures les plus marquantes de cette rencontre entre l’Orient islamique et l’Occident slave figure le grand poète russe Alexandre Pouchkine. Son œuvre témoigne d’une profonde curiosité intellectuelle et spirituelle pour le Coran, qu’il a lu, médité et intégré dans sa création poétique.

À travers son cycle de poèmes intitulé Un regard d’ensemble sur le Coran, Pouchkine a su traduire en langage poétique russe des valeurs, des récits et des symboles coraniques, révélant ainsi la capacité universelle du texte sacré à inspirer au-delà des croyances religieuses.

Alexandre Pouchkine et la découverte du Coran
Selon Makarim Al-Ghamri, dans son ouvrage Les influences arabes et islamiques dans la littérature russe, Alexandre Pouchkine (1799-1837) occupe une place centrale parmi les poètes russes influencés par le Coran et par la vie du Prophète de l’islam. Cette influence apparaît clairement dans son recueil poétique Un regard d’ensemble sur le Coran, composé en 1824. Ces poèmes occupent une position singulière dans le patrimoine littéraire russe, car ils s’inspirent directement de l’héritage spirituel islamique et de la tradition prophétique.

L’importance de ce recueil ne réside pas seulement dans son originalité thématique, mais aussi dans ce qu’il révèle de la force universelle des valeurs coraniques. Pouchkine, qui ne se revendiquait pas comme croyant musulman, a néanmoins été profondément touché par la grandeur morale, la puissance symbolique et la profondeur spirituelle du Coran. Ses poèmes constituent ainsi une preuve éclatante de la capacité du texte coranique à dépasser les frontières du temps, de l’espace et des appartenances religieuses.

Le critique russe Tcherniaïev, cité par Al-Ghamri, souligne que le Coran fut le premier élément déclencheur de l’éveil religieux de Pouchkine. Il occupa une place importante dans sa vie intérieure et stimula son imagination poétique. Le Coran fut également le premier livre religieux à capter pleinement l’attention du poète et à l’orienter vers une réflexion approfondie sur l’islam et ses valeurs spirituelles.

وقتی شاعر روس شیفته قرآن شد

L’influence spirituelle du Coran et de la sourate Ad-Duha
Le recueil Un regard d’ensemble sur le Coran se compose de neuf poèmes non titrés, simplement numérotés. Ces poèmes varient en longueur et en rythme, en fonction des versets coraniques dont Pouchkine s’est inspiré. Dans le premier poème, le poète russe puise largement dans les sourates évoquant certains moments de la vie du Prophète Muhammad (paix sur lui), en particulier les épisodes marqués par l’épreuve, l’attente et le réconfort divin.

Né‘mat Abd Al-Aziz Taha, dans son étude consacrée à l’influence de l’islam sur les écrivains russes, souligne que Pouchkine a repris la forme du serment coranique, notamment dans son évocation des étoiles, de l’aube et de la nuit. Cette démarche est particulièrement visible dans son inspiration tirée de la sourate Ad-Duha. Cette sourate évoque la période durant laquelle la Révélation fut interrompue, provoquant l’inquiétude et la tristesse du Prophète.

Les versets initiaux de cette sourate rappellent que Dieu n’a ni abandonné Son messager ni cessé de l’aimer. Les exégètes classiques, tels qu’Ibn Kathir et Mohammad As-Sabouni, expliquent que ces serments divins constituent une réponse directe aux accusations des polythéistes, qui prétendaient que le Prophète avait été délaissé par son Seigneur. Dieu rappelle au contraire Sa protection constante et Sa miséricorde.

Pouchkine transpose ces significations dans un langage poétique qui lui est propre. Il évoque la fidélité divine, le refus de l’abandon et la continuité du lien entre le Créateur et Son serviteur. Il reprend également la fin de la sourate, où Dieu rappelle au Prophète qu’Il l’a trouvé orphelin et lui a offert protection et soutien. De cette reconnaissance découle une exigence morale : ne pas opprimer l’orphelin, ne pas repousser le nécessiteux et transmettre les bienfaits reçus.
Dans ses vers, Pouchkine insiste sur la compassion, la protection des plus faibles et la responsabilité morale envers autrui. Ces thèmes montrent à quel point il avait saisi l’essence éthique du message coranique et sa portée universelle.

Les récits coraniques et leur réécriture poétique
Au-delà de la sourate Ad-Duha, Pouchkine s’inspire également d’épisodes majeurs de la vie du Prophète, notamment l’émigration de La Mecque vers Médine et l’épisode de la grotte, mentionné dans le verset 40 de la sourate At-Tawba. Ce passage souligne l’assistance divine accordée au Prophète et à son compagnon lors de leur fuite, malgré l’absence apparente de soutien humain.

Les commentateurs du Coran expliquent que ce verset illustre la confiance absolue en Dieu et la certitude que l’aide divine se manifeste même dans les moments de plus grande solitude. Pouchkine intègre ces significations dans ses poèmes en évoquant la sérénité accordée par Dieu, la protection invisible et la victoire de la vérité sur l’oppression.

Cependant, comme le souligne Al-Ghamri, l’œuvre de Pouchkine ne constitue pas une imitation littérale du Coran. Il s’agit plutôt d’une recréation artistique. Le poète extrait des valeurs morales et spirituelles du texte sacré, puis les reformule à travers sa sensibilité personnelle, son style poétique et sa vision du monde. Il n’hésite pas à combiner dans un même poème des significations issues de différentes sourates, créant ainsi une unité poétique fondée sur l’éthique plutôt que sur la structure scripturaire.

Cette liberté artistique révèle une compréhension profonde du Coran, non comme un simple texte à citer, mais comme une source vivante de valeurs universelles. Pouchkine s’approprie ces valeurs pour leur donner une nouvelle forme, accessible à un public russe, tout en conservant leur essence morale et spirituelle.

Traductions du Coran et approfondissement spirituel de PouchkineL’intérêt de Pouchkine pour le Coran s’explique également par son accès à plusieurs traductions et commentaires. Selon Nazem Majid Al-Dirawi, le poète a étudié avec attention deux traductions du Coran : l’une en russe, réalisée par Mikhaïl Virovkine, et l’autre en français, traduite par André Du Ryer. Ces lectures lui ont permis de se familiariser avec de nombreuses sourates, dont Al-Baqara, Al-Kahf, Maryam, Taha, Al-Hajj, An-Nour, Al-Ahzab, Muhammad, Al-Fath, Al-Qiyama, ‘Abasa, At-Takwir, Al-Fajr, Al-Balad et Ad-Duha.

Pouchkine ne s’est pas limité à une lecture intellectuelle. Lors de son exil à Mikhaïlovskoïe, il mentionne dans son poème Le Fouilleur qu’il lisait les versets du Coran dans une grotte, trouvant dans cette lecture un apaisement spirituel. Il demanda également à écouter la récitation du Coran lors de ses voyages dans le sud de la Russie et jusqu’à Erzurum.
Son intérêt s’étendit à la biographie du Prophète Muhammad (paix sur lui), qu’il étudia avec admiration. Des manuscrits retrouvés attestent de son effort pour apprendre l’alphabet arabe, aidé par un ami maîtrisant cette langue. Ces éléments confirment que la relation de Pouchkine avec le Coran dépassait la simple curiosité littéraire ; elle relevait d’une quête spirituelle sincère et profonde.

Ainsi, l’expérience de Pouchkine montre comment le Coran, par la force de son message et la richesse de ses récits, a su inspirer un grand poète russe et nourrir une œuvre littéraire majeure. Cette rencontre entre deux univers culturels rappelle que la poésie et la spiritualité peuvent constituer des ponts durables entre les civilisations.

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