Une personnalité à plusieurs dimensions
Dans toute l’histoire du monde musulman, en général, sunnite comme chiite, après le Prophète et les imams chiites, je ne vois pas de personnalité aussi importante au niveau de l’effet qu’elle a eu pour le monde musulman et même au-delà du monde musulman. Il n’y aurait pas eu d’imam Khomeiny s’il n’y avait pas eu le peuple iranien et le peuple iranien n’aurait pas pu faire sa révolution s’il n’y avait pas l’imam Khomeiny. Qu’est-ce qui a fait de lui qu’il avait la capacité de mettre en mouvement et de mobiliser le peuple iranien ? Est-ce que c’est le fait qu’il était un faghih (juriste musulman, un docteur de la loi), évidemment non, sinon il y en a eu beaucoup. Il y avait beaucoup de docteur de la loi avant lui, en même temps que lui et après lui, qui étaient aussi savant que lui dans cette science de la loi musulmane et qui n’ont pas pu avoir la même influence.
Est-ce que c’est parce qu’il était un homme politique. Certainement pas, parce que ce n’était pas un homme qui a fait les études ni de la science politique, ni quelqu’un qui a exercé directement des fonctions politiques. Il n’a jamais été ni président, ni représentant au parlement. Des savants comme Modarres, étaient des hommes plus politiques que l’imam Khomeiny, car ils étaient au parlement.
Lui il se contentait d’avoir une vision et de mobiliser les gens autour de cette vision, ce qui n’est pas une fonction politique. La fonction du guide de la révolution n’est pas en principe une fonction politique, elle est une fonction d’orientation. Est-ce que c’est parce qu’il était un philosophe, c’est-à-dire quelqu’un qui étudiait ou enseignait la philosophie, en particulier la philosophie de Mola Sadra. Oui, en partie, mais ce n’est pas suffisant. Il faut mettre à côté aussi qu’il était un gnostique, un homme de la voie spirituelle, un ‘Aref.
Une vision gnostique
Le caractère révolutionnaire vient justement de cette vision gnostique. Beaucoup de mouvements dans l’histoire ont été animés par les spirituels et des gnostiques, dans le monde sunnite comme chiite. Comme le cheikh Safyeddin, fondateur de la dynastie safavide, ou Omar Mokhtar en Libye qui était un soufi ou Abdel Qader en Algérie qui était un soufi, etc. alors qu’il n’y a pas de mouvement de cette sorte qui aurait été dirigé par un philosophe. Que ça soit Averroès, Avicenne ou tous les autres, les philosophes étaient soit retiré du monde soit dans le monde, comme conseiller des princes. C’est pourquoi ce n’est pas en tant que philosophe qu’il a pu faire la révolution. Un philosophe essaie d’améliorer, pas de révolutionner. Il est plutôt réformiste et pas révolutionnaire.
Par contre, un ‘Aref, ça peut être le cas. Pas tous, mais selon le cas. Pour pouvoir continuer, pouvoir établir après, sur les bases à la fois rationnelles et légales, une nouvelle société qui s’appelle la république islamique, ça ce n’est pas un ‘Aref qui peut le faire, c’est un philosophe pour l’aspect rationnel et un juriste pour l’aspect légal. C’est le fait qu’il ait réuni en lui ces trois aspects de gnostique, de philosophe et de juriste qui a fait l’exceptionnalité.
S’il n’avait été que ‘Aref il n’aurait pas pu faire une révolution, il n’aurait pas pu construire l’après la révolution. S’il n’avait été que philosophe, il n’aurait pas pu faire une révolution.
Une révolution au nom de la religion
Cet impact est considérable sur le monde musulman même non musulman. C’est pour la première fois après la révolution française de 1789 qui s’était faite au nom du peuple contre la religion et l’église, depuis cette époque-là, on n’a pas eu de révolution qui soit faite au nom de la religion. Les révolutions marxiste, soviétique, maoïste ont été dans la continuation de la révolution française, et pour la première fois on a eu une révolution qui dit « non, ce n’est pas vrai que la religion doit mourir et qu’elle cède la place à autres choses, que ça soit le marxisme, le libéralisme etc. ».
La religion au service de l’humanité
La religion a toujours son mot à dire. Mais par contre, la religion doit être au service de l’humanité et non pas l’humanité au service de la religion. Quand on parle de la religion à l’américaine, ou autre, c’est précisément la lecture de la religion où les êtres humains doivent être au service de la religion et donc automatiquement au service des religieux qui la représentent. Mais cette vision révolutionnaire qui renoue avec la vision des imams du chiisme, c’est que non, ce n’est pas les hommes qui sont faits pour servir la religion, mais la religion qui est faite pour servir les hommes.
C’est ce qui est une vision religieuse révolutionnaire. Et qu’on retrouve aussi après cette époque, chez des non musulmans, chez les chrétiens, les disciples d’autres religions, voire chez des gens qui n’ont pas une religion spécifique mais qui ont une aspiration spirituelle en eux.
Ça a été un changement catégorique, il a inspiré partout tous les mouvements ou toutes les personnes qui avaient à la fois une aspiration spirituelle et une aspiration politique et sociale. Depuis la révolution française au moins en quelque sorte, on avait séparé en disant si vous avez une aspiration spirituelle ne vous occupez pas de ce monde, si vous voulez vous occuper de ce monde il ne faut voir quelque chose de spirituel dedans.
Le cœur, l’intelligence et la vie sociale
Cette idée s’était répandue dans le monde entier. Dans le monde musulman, on disait soit vous êtes un soufi soit un Frère Musulman. Si vous êtes un Frère Musulman vous faites de la politique, pas de spiritualité et si vous faites du soufisme, pas de politique. Il a dit non, les deux vont ensemble. De plus, la spiritualité doit être avec la rationalité, pas contre la rationalité. C’est-à-dire les trois sont ensemble, il faut le cœur, il faut l’intelligence et il faut la vie sociale.
Un vocabulaire coranique
L’une des grandes forces de l’imam Khomeiny était le vocabulaire qu’il a choisi pour parler de la situation du monde. C’est-à-dire de choisir le vocabulaire, le terme qui se trouve dans le Coran, dans la révélation et dans les enseignements prophétiques et de montrer qu’ils s’appliquent tout-à-fait bien à la description et à la compréhension de la situation actuelle du monde. Que les termes utilisés dans le Coran ne valent pas seulement pour une époque précise qui serait la situation politique et sociale de l’Arabie à l’époque de la révélation, mais qu’ils s’appliquent à toutes les époques. Et qu’à toutes les époques, il y avait des gens qui veuillent aller dans la voie de l’amélioration spirituelle, intellectuelle, politique etc. c’est-à-dire dans la voie de Dieu et d’autres qui veulent aller dans la voie de l’égo.
Par opposition de la voie de Dieu, il y a la voie de soi-même, la voie de l’égo, c’est-à-dire nafs, car s’il n’avait pas nafs ou l’égo, les forces sataniques n’ont aucun pouvoir sur nous. Le satan en nous c’est l’égo. Tout ce qui est dans la voie de l’égo, que ça soit l’égoïsme économique, l’égoïsme politique, l’égoïsme social, tout ce qui est dans la voie de l’égo c’est ça l’estekbar, c’est-à-dire que moi, je me fais, plus grand que ce que je suis. Je me dis c’est moi qui suis votre seigneur comme le dit le pharaon. C’est la voie de Pharaon. Je suis votre Seigneur.
Tout mouvement politique, tout mouvement religieux, gouvernement etc. qui dit aux autres, c’est moi le maître, c’est l’estekbar, c’est l’arrogance, c’est de dire "moi" en face de "Dieu". Moise est un berger au départ, il se réfugie en Arabie, il reçoit la mission qui lui dit retourne auprès du pharaon et dit lui : tu n’es pas Dieu, descends du trône, Dieu c’est autre chose. C’est ça la lutte des mustaz’af, ceux qui sont déshérités, affaiblis, à qui on a retiré leur force, puisque ce sont eux qui ont la vraie force, puisque c’est eux qui ont les moyens de la production, qui forme la masse du peuple, mais on les a mis en situation de faiblesse, parce qu’on était mustakbir, on était arrogant et voulait les dominer.
Il dit prend ceux qui sont en état de faiblesse et va avec eux et dit : laissez-nous vivre, descendez de votre place, la place que vous occupez n’appartient qu’à Dieu.
Une islamophobie pour contrecarrer la république islamique
Malheureusement l’islamophobie a été créée pour répondre à la révolution islamique. Il y a une très bonne thèse sur l’islamophobie et la manière dont les émissions radio-télévision en France ont commencé à partir de 1979 (date de la victoire de la révolution islamique) jusqu’en 2000, à construire une image ou une représentation complètement imaginaire et complètement manipulée de l’islam.
Ce qui fait que la plupart des gens lorsqu’il est question de l’Iran et de la révolution islamique, n’ont pas du tout une connaissance ou une réaction de quelqu’un qui connaît, mais une réaction simplement à une construction complètement imaginaire. Au contraire là-dessus on devrait beaucoup travailler. Par exemple en faisant venir des touristes, c’est à eux après, de dire que c’est complètement au contraire, mais jusqu’à présent on n’a pas fait un travail vraiment sérieux là-dessus. On n’a pas vraiment investi dans ce domaine dans la république islamique.
L’islamophobie a été construite petit à petit de toute pièce pour contrecarrer la révolution islamique et la vision qu’elle propose. Malheureusement jusqu’à présent, nous, les partisans de cette révolution islamique et de cette république islamique, nous n’avons pas fait suffisamment pour contrecarrer cette construction d’islamophobie. Là on a beaucoup de travail à faire. C’est notre travail et on n’a pas bien travaillé jusqu’à présent.