Cheykh Haidar Mouhajer, libanais d’origine, est issu d’une famille religieuse. Son père, l’Ayatollah Habib Al Ibrahim Mouhajer marqua la région Liban, Syrie et Irak par une revivification culturelle et politique du chiisme dans entre 1930 et 1965. Dès son jeune âge, Cheykh Haidar Mouhajer suivit des études chiites à Najaf Al Achraf (Irak). Suite à une prise de conscience concernant l’opposition entre la pensée chiite et le courant matérialiste occidental, il partit en France en 1976 pour étudier la philosophie occidentale. Depuis, il est toujours actif entre l’Europe francophone et le Liban dans la diffusion de la pensée chiite consciente socialement et politiquement.
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Nous avons interviewé Cheykh Haidar Mouhajer à l’occasion de la Journée Internationale de la Philosophie pour nous initier davantage sur ses idées philosophiques.
IQNA : Comment évaluez-vous l'influence du Coran, de l'héritage prophétique, de la jurisprudence et des croyances islamiques sur la philosophie islamique contemporaine ?
Cheykh Haidar Mouhajer : Au nom du plus Haut. La philosophie pratiquement dite est la recherche du savoir en général et notamment la possibilité du savoir. Souvent, dans la philosophie contemporaine occidentale, on limite la philosophie à l'épistémologie qui est selon certains, la critique des savoirs et selon la définition la plus simple, est synonyme de la théorie de la connaissance.
On peut donc dire que la philosophie occidentale a limité l'objet de la philosophie à la possibilité de la connaissance et par la suite à son impossibilité.
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À l'inverse de ce parcours qui conduit à la destruction de la philosophie moderne et qui la ramène à une pratique d'imagination subjective, la philosophie contemporaine musulmane éclaircit le chemin du savoir et va au-delà de la recherche de la possibilité de la connaissance, à savoir, la découverte de l'avenir en se basant sur la connaissance qui est déjà acquise.
Nous voyons par exemple la découverte de l'histoire à partir des lois coraniques dont la philosophie prouve leur véracité.
On peut en dire de même en ce qui concerne la jurisprudence et les convictions de la foi musulmane par rapport au savoir en général.
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Les questions morales constituent une partie importante de la philosophie islamique. Dans quelle mesure peut-on utiliser ces enseignements pour faire face aux défis actuels des sociétés, y compris les conséquences morales découlant des nouvelles technologies ?
La morale ou l'éthique se justifie par une origine divine puisqu’elle ne devient consciente chez l'être humain que lorsque ce dernier se tourne vers la Providence divine, bien que les animaux aient parfois des attitudes morales sans en être probablement conscients.
La morale s'exprime chez l'être humain d'une façon intuitive, mais elle reste dépendante de la raison pour prouver sa réalité. La philosophie occidentale, dans ses prises de position, ne reconnaît pas l'origine rationnelle de la morale bien qu’elle lui reconnaisse pratiquement une certaine réalité sans rechercher sa reconnaissance par la logique.
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Pour la philosophie musulmane, la morale est un fondement du savoir dans la mesure où elle est une manifestation de la Providence.
Remédier aux fléaux de la décadence de la société moderne, ne peut se réaliser qu'à travers la reconstitution du système du savoir.
Expliquez le rôle et la place de la pensée et de la philosophie islamiques dans la formation de la civilisation islamique.
Dans la pensée musulmane contemporaine, on souffrait de la domination de la pensée occidentale qui inculquait des tendances anti-islamiques dans la société comme le nationalisme, le communisme, le libéralisme et même l'athéisme.
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Contre cette réalité malheureuse, quelques philosophes musulmans contemporains comme l'ayatollah Baker Sadr et l'ayatollah Motahari se sont penchés sur l'étude de la pensée occidentale et l'ont déconstruite en suivant une méthodologie logique et bien argumentée.
L'imam Khomeiny, grâce à ses prises de postions politiques et sociales, est parvenu à impulser un mouvement civilisateur dans le sens humain et moral du terme. Cette révolution, non pas exclusivement musulmane, elle est un soulèvement mondial qui montre progressivement l'efficacité de la philosophie musulmane moderne dans sa confrontation avec la pensée de l'arrogance et du néocolonialisme.
Le rôle de la philosophie islamique ne se limite pas seulement à la réforme de la civilisation islamique, mais il procure une nouvelle renaissance à la civilisation par excellence contre l'obscurantisme.
Malgré sa diversité, la philosophie islamique est souvent réservée à des groupes spécifiques et spécialisés. Quelles mesures peuvent être prises pour rendre la philosophie islamique plus accessible et compréhensible pour la nouvelle génération et les non-spécialistes ?
La philosophie utilise beaucoup de termes techniques difficilement compréhensibles pour les non spécialisés. Ce qui est important pour les gens ordinaires, c’est de comprendre les résultats de la profondeur philosophique, à savoir le raffermissement de leurs principes moraux. Ce dernier peut être obtenu grâce à la sincérité idéologique des spécialistes de la philosophie qui ont pour rôle de présenter à la société la vérité idéologique et non pas le mensonge et la falsification.
Le philosophe intègre et sincère est celui qui mène sa société vers le salut moral et non point celui qui justifie la décadence et la corruption sous toutes leurs formes.
Comment évaluez-vous la place de la philosophie islamique dans l'enseignement académique des pays islamiques et arabes ?
Jusqu'aujourd'hui, on ne voit pas vraiment une présence sérieuse de la philosophie musulmane moderne dans les instituts académiques du monde arabe et musulman.
Malheureusement, le néocolonialisme intellectuel continue l'occupation de beaucoup de nos universités et même l’esprit de nos professeurs académiques.
Bien évidemment, la philosophie musulmane moderne n'est pas fermée à la connaissance de la philosophie occidentale, mais elle revendique tout simplement l'honnêteté scientifique et la sincérité dans les recherches philosophiques.
Ces dernières années, nous avons assisté à la publication de nouvelles recherches sur l'analyse des opinions des philosophes musulmans en Occident. Qu’en pensez-vous ?
Bien que ces publications soient réelles, elles restent toutefois marginales dans les milieux proprement dit philosophiques.
Au niveau des études académiques en Occident, il n’y a pas de considération sérieuse de la philosophie musulmane moderne.
Bien au contraire on assiste à une critique subjective de la pensée musulmane en vue de la déconstruire sans lui reconnaître aucun droit de présence ni défense.
Quelles sont les fondations intellectuelles et les méthodes cognitives de la philosophie islamique contemporaine ?
Nous avons plusieurs approches philosophiques dans la pensée moderne. L'approche socio-intellectuelle du genre de Ali Shariati.
L'approche philosophique méthodique transcendantale de Molla Sadra qui opère une fusion entre philosophique et spirituel.
L'approche de Motahari qui vise à déconstruire les affirmations gratuites dans la pensée occidentale pour légitimer une assise à la pensée musulmane sans pour autant clarifier sa structure moderne.
L'approche de Mohamad Baker Sadr déconstruit, à l'occidentale, la philosophie et réalise une percée objective quant à la base de la philosophie. Il donne un nouveau départ à la théorie de la connaissance qui diffère de la méthode traditionnelle, philosophiquement parlant.
L'approche de l'imam Khomeiny a unifié la philosophie, la morale et la politique. Ce nouveau philosophe intrigue le monde qui aura besoin d’énormément d’efforts pour se libérer de ses préjugés afin de comprendre sa réelle valeur et saisir la profondeur de sa pensée.
Enfin, je pense que le domaine de la philosophie fait partie du champ de la confrontation idéologique avec le front du mensonge. La philosophie musulmane contemporaine fonde l’espoir qu’un jour, elle sera respectée politiquement par l'Occident. C’est grâce à la bravoure et au dévouement de notre société musulmane que l’on parviendra à mener un dialogue philosophique neutre qui promouvra le savoir proprement dit.
Par Parvaneh Salehi