Annoncé par le Premier ministre Mostafa Madbouly lors du forum économique égypto-américain en mai dernier, ce choix vise, selon les autorités, à faciliter les échanges commerciaux et attirer les investissements étrangers.
Mais pour de nombreux observateurs, cette décision fragilise un symbole clé de la consommation musulmane et pourrait avoir des conséquences durables sur la confiance des consommateurs et la réputation du pays sur le marché mondial du halal.
Une décision à portée économique immédiate
Le gouvernement égyptien a précisé que l’exemption de certificat halal sur les produits laitiers importés des États-Unis serait effective jusqu’à fin 2025, sans frais, puis soumise à une taxe de 1500 dollars par conteneur à partir de 2026. L’objectif affiché est de réduire les charges financières et administratives des importateurs et de stimuler la présence des entreprises américaines sur le marché égyptien.
Les produits concernés ne comprennent ni viandes ni volailles, pour lesquels le certificat halal reste obligatoire selon les règlements du ministère de l’Agriculture.
D’après des sources au sein de l’Organisme général de normalisation et de qualité (EOS), la certification halal n’est pas une exigence légale universelle, mais un critère technique variable selon le type de produit.
Seules les denrées à base animale y sont systématiquement soumises, tandis que les produits laitiers peuvent en être dispensés en fonction des pratiques du marché ou de l’appréciation des autorités.
Actuellement, quatre entités supervisent le processus de certification en Égypte : l’EOS, la Dar Al-Ifta, les services vétérinaires, et l’Autorité de contrôle des exportations et des importations.
Ahmed El-Wakil, président de l’Union des chambres de commerce égyptiennes, voit dans cette initiative un pas décisif contre l’inflation et un soutien bienvenu aux acteurs économiques étrangers. Il critique une industrie du halal mondialisée qu’il juge parfois opaque et sujette à des pratiques monopolistiques.
Hani Fahim, professeur de droit commercial international, souligne que les certifications halal impliquent souvent des procédures longues, coûteuses, et un encadrement religieux étranger parfois inutile. Selon lui, leur absence dans le cas des produits laitiers pourrait rationaliser la chaîne logistique sans compromettre les normes de sécurité alimentaire.
Des inquiétudes religieuses et culturelles persistantes
Mais cette approche ne fait pas l’unanimité. Mahmoud El-Asqalani, président de l’association « Citoyens contre la vie chère », redoute un glissement progressif vers des produits plus sensibles, notamment les viandes. Il s’inquiète d’un affaiblissement des mécanismes de contrôle religieux, et d’un impact sur la confiance des consommateurs musulmans, tant en Égypte qu’à l’export.
Haitham El-Hariri, ancien député, critique une décision qui semble dictée par des engagements économiques non déclarés avec Washington, et dénonce le risque de saborder la future marque « Halal égyptienne » destinée à l’exportation, un projet stratégique pourtant soutenu par le gouvernement lui-même.
À l’inverse, Abdel Moneim Imam, chef du parti Al-Adl, défend la mesure dans le cadre d’une simplification globale du climat des affaires, estimant que les critères de l’Autorité de sécurité sanitaire des aliments suffisent à garantir la conformité des produits.
Dans une déclaration au média Al-Jazeera Net, le porte-parole du gouvernement, Mohamed El-Homsani, a précisé que cette exonération vise à éviter les retards et les surcoûts liés à la multiplicité des organismes certificateurs, et que les entreprises resteront tenues de déclarer l’intégralité des ingrédients de leurs produits.
Le gouvernement s’est engagé à renforcer les contrôles internes, tout en ouvrant la porte à de nouvelles agences de certification pour limiter les situations de monopole dans les filières où le halal reste requis.
Analyse
L’Égypte se retrouve ici à la croisée des chemins entre réformes structurelles pour relancer son économie et respect de normes culturelles profondes dans un pays où la consommation est fortement influencée par la religion. Si l’objectif de simplification des procédures douanières est légitime et pertinent dans un contexte d’urgence économique, la méthode employée risque d’être contre-productive sur le plan symbolique et réputationnel.
D’un point de vue stratégique, ce choix pourrait affaiblir la position concurrentielle de l’Égypte dans l’industrie halal mondiale, notamment face à des pays comme la Malaisie, l’Indonésie ou la Turquie, qui ont su transformer la certification halal en outil de soft power économique.
En outre, cette décision pourrait être exploitée par des concurrents pour remettre en cause la fiabilité du label égyptien, notamment dans les marchés africains et asiatiques où la certification halal est un critère de confiance fondamental.
Enfin, à l’échelle intérieure, une telle mesure, perçue comme un abandon implicite de références religieuses traditionnelles, pourrait nourrir la défiance d’une partie de la population, en particulier en période de crise sociale et économique.
En somme, si la volonté d’attirer les investisseurs est compréhensible, elle ne saurait justifier une fragilisation des normes culturelles et religieuses fondamentales, sans concertation ni dispositif de remplacement robuste.
Ce n’est qu’à travers une stratégie cohérente, transparente et encadrée par des autorités nationales crédibles, que l’Égypte pourra conjuguer développement économique et respect des sensibilités de ses citoyens comme de ses partenaires internationaux.
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