Cette prouesse est l’œuvre de Beatriz Salas, professeure de littérature espagnole, installée en Iran depuis près de trente ans. Pour elle, cette aventure a été bien plus qu’un simple travail académique : une véritable expérience mystique.
Beatriz Salas, née d’un père vénézuélien et d’une mère espagnole, a suivi son époux originaire du Khorasan du Sud en Iran, où elle a enseigné pendant trois décennies à l’Université de Téhéran et à l’Université islamique Azad. C’est au détour d’un appel du ministère iranien des Affaires étrangères, relayé par l’UNESCO, que le projet a vu le jour. D’abord hésitante face à l’ampleur de la tâche, elle accepte de lire l’œuvre. Dès les premières lignes, elle est saisie : "Le Shahnameh est comme une forteresse que ni le soleil ni le vent ne peuvent ébranler."
La traduction du Shahnameh, qui s'étend sur sept volumes, aura nécessité près de dix ans, entrecoupée par la pandémie. Salas l’a réalisée en prose, avec l’aide précieuse de son mari pour la prononciation, d’une ancienne étudiante pour la saisie de près de 4 000 pages, et du soutien logistique d’anciens diplomates et universitaires. Malgré des moyens limités, le premier volume a été publié en édition de luxe par l’ambassade du Venezuela, avant que Salas ne poursuive seule l’aventure, convaincue de la portée universelle de ce récit.
Le Shahnameh, épopée monumentale de 50 000 distiques, traverse les siècles en abordant des thèmes intemporels : loyauté, honneur, quête de justice, respect familial. Pour Salas, cette œuvre est une leçon de vie : "Ferdowsi enseigne comment être un meilleur humain, père, fils, membre de la société." Elle raconte comment, dès son arrivée en Iran, elle découvre la force culturelle du Shahnameh à travers deux enfants jouant Rostam et Sohrab dans un village du Khorasan. "En Espagne, on ne voit pas deux enfants jouer Don Quichotte," dit-elle avec tendresse.
Salas affirme avoir repéré de nombreuses influences du Shahnameh dans la littérature mondiale, de Cervantès à Shakespeare, et même dans des séries modernes comme Game of Thrones, dont certains éléments visuels et narratifs semblent directement inspirés de Ferdowsi.
Aujourd’hui, elle sillonne le monde hispanophone pour faire connaître l’épopée perse, multipliant les conférences, notamment auprès des jeunes. Son objectif : rendre cette œuvre vivante et accessible. Dans un monde numérique, elle compare même le Jam-e Jam, la coupe mythique du Shahnameh, à nos téléphones portables : puissants mais nécessitant des cœurs purs pour ne pas en faire un mauvais usage.
Pour Salas, "le Shahnameh est un cadeau de Dieu au peuple". Elle y voit un rempart contre l’oubli de la langue et de l’identité perse, et une source inépuisable de sagesse pour le monde entier. Une œuvre d’âme et de résistance, traduite avec foi, passion… et amour.