Selon Al Jazeera, l’un des membres marquants de ce groupe, George Totari, Palestinien chrétien né en 1946 à Nazareth, vit aujourd’hui dans un modeste appartement suédois. Malgré la simplicité de son cadre de vie, sa présence reste marquée par un engagement profond.
Dans les souvenirs de Totari, Nazareth a profondément changé dès son enfance, bouleversée par les colonies illégales israéliennes et les postes de contrôle militaires. À partir des années 1960, la ville est devenue un centre d'activité pour les Palestiniens déplacés, où chrétiens et musulmans partageaient une dynamique sociale et politique intense.
Cette effervescence a inspiré à Totari une chanson de protestation marquante, créée à la fin des années 1970. D'abord diffusée en Europe du Nord, elle a trouvé une nouvelle vie au sein du mouvement mondial opposé à la guerre à Gaza. L’œuvre musicale, enracinée dans l’histoire personnelle et collective palestinienne, continue ainsi de résonner bien au-delà des frontières, comme symbole de solidarité et de résistance.
"Vive la Palestine" : un hymne de résistance intergénérationnel
Composée en 1979 par George Totari, la chanson "Vive la Palestine" a retrouvé une nouvelle vie depuis le début de la guerre à Gaza en octobre 2023. À Stockholm, des manifestants anti-guerre ont entonné ses paroles puissantes appelant à la fin des bombardements israéliens.
Une vidéo de ces protestations, accompagnée de la chanson, a généré plus de 5 millions de vues sur TikTok, touchant un public allant d’Afghanistan à la Turquie.
Depuis, ce chant est devenu un symbole de solidarité, repris dans les rues et les transports suédois comme hymne de la cause palestinienne.
Concert du groupe Kofia à Téhéran
Le groupe musical Kofia a vu le jour en 1972, réunissant cinq artistes : Michel Kuraytem, percussionniste palestinien dont la famille avait fui Jérusalem en 1948, la chanteuse suédoise Carina Olsson, le flûtiste Bengt Karlsson et Mats Lodahl, musicien jouant du oud, du mandoline et de la guitare. Le nom du groupe fait référence à la kufiya, foulard palestinien devenu symbole de résistance.
Dans les années 1970, Kofia s’est illustré lors de manifestations contre la guerre du Viêtnam et l’apartheid en Afrique du Sud, notamment à Göteborg, bastion ouvrier et centre des solidarités internationales en Suède. Le groupe était très apprécié dans les milieux alternatifs et de gauche, marqués par le socialisme et l’anti-impérialisme.
En février 1980, un an après la victoire de la révolution islamique, Michel Kuraytem composa une chanson dédiée aux luttes iraniennes. À la demande des révolutionnaires iraniens, le groupe fut invité à jouer à Téhéran. Lors d’un concert en plein air, éclairé par les phares de voitures, Kofia partagea la scène avec un groupe chilien engagé, basé à Stockholm, pour une soirée de solidarité internationale.
La mondialisation d’un chant suédois pour la Palestine
Le musicologue palestinien en exil Louis Brehony, auteur d’un documentaire sur le groupe Kofia, décrit leur musique comme un mélange inédit de folk arabe et de chant scandinave. Selon lui, Kofia portait un message de résistance intransigeante, sublimé par des concerts en Iran et en Allemagne de l’Est.
Le fondateur du groupe, Toutri, avait fui Nazareth après la guerre des Six Jours en 1967. Arrivé en Suède, il fut frappé par l’ignorance des gens concernant la Palestine. Pour faire connaître son peuple et sa cause, il utilisa la musique. Kofia fut le premier groupe à chanter sur la Palestine en suédois. Leurs quatre albums, produits dans cette langue, rompaient avec la tradition d’un art arabe adressé uniquement au public du Moyen-Orient.
En 1979, leur chanson « Vive la Palestine » clôtura leur second album Ma Patrie. Elle devint un hymne contestataire en Suède, alors soutien d’Israël, et suscita même la critique de certains Arabes refusant le suédois comme langue de lutte. Pourtant, 45 ans plus tard, cette chanson résonne dans les rassemblements pro-palestiniens, comme ceux des étudiants à Lund en 2024.
Accusée d’antisémitisme par certains responsables politiques suédois, la chanson a pourtant rassemblé autour de sa mélodie inspirée des maqâms traditionnels palestiniens. Pour Toutri, c’est un hymne universel, enraciné dans la terre : « Nous avons semé, moissonné, récolté le citron… Le monde entier connaît notre terre. » Il conclut : « La terre, c’est notre oxygène. »
Kofia a ainsi transformé le slogan militant en art musical, touchant bien au-delà des frontières.
Une chanson pour tous les peuples du monde
Toutri, fondateur du groupe Kofia, affirme que chacun doit trouver sa propre signification à la chanson Vive la Palestine. Pour certains, elle évoque l’amour ; pour d’autres, la lutte. Il se souvient de la solidarité reçue en Suède il y a cinquante ans : « Mon peuple dit : non à la discrimination. »
Aujourd’hui, il voit une lueur d’espoir dans les mobilisations mondiales en soutien à la Palestine et le changement d’attitude en Europe. En mai, l’Irlande, l’Espagne et la Norvège ont reconnu l’État palestinien et appellent à l’adoption des frontières d’avant 1967 comme base de paix. La Suède l’a déjà reconnu en 2014, mais son gouvernement actuel soutient fermement Israël.
Toutri prévient : « Tant qu’il y a de la haine, il n’y a pas d’espoir. » Il craint que l’élan des manifestations actuelles ne s’essouffle, comme tant d’autres auparavant. Il appelle à canaliser cette énergie vers la reconstruction des institutions palestiniennes par la société civile, la culture et l’art.
Pour lui, Vive la Palestine est une chanson universelle : « Elle n’est pas seulement pour les Palestiniens ou les musulmans. Elle est pour tous les opprimés du monde. Et cela me rend profondément heureux. »